Frédéric Ducarme : il faut penser une écologie de “réconciliation”

Chercheur au Centre d’Écologie et des sciences de la conservation au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et auteur, avec Fabrice Flipo et Denis Couvet, de l’étude How the diversity of human concepts of nature affects conservation of biodiversity.

Le chercheur, qui a étudié les différentes conceptions de la nature et de la manière de la conserver, a été interviewé dans le numéro 6 de Vox Muséum. Il souligne la nécessité d’une approche pluridisciplinaire et globale pour enrayer sa destruction provoquée par les activités humaines. Extrait

Dans un récent article vous évoquez la nécessité d’une “Écologie de réconciliation”.
Le concept vient du biologiste américain Michael Rosenzweig. Partant du constat que les réserves naturelles sont insuffisantes pour protéger toute la biodiversité terrestre, il plaide pour un travail de protection étendu aux milieux anthropiques. Pour lui, il peut y avoir des socio-écosystemes vertueux autant pour les humains que les non-humains. Il s’agit de l’un des grands débats actuels : d’un côté, les tenants de ce que l’on appelle le Land sparing, littéralement “économie de terres”, défendu par l’Amérique des parcs nationaux, qui vise à épargner le plus de surface possible, mais qui, à côté de cela, oblige à maximiser l’intensité de l’exploitation agricole ailleurs, pour produire beaucoup sur peu de terrain. De l’autre, les tenants du Land sharing, littéralement ≪ partage des terres ≫. Ces derniers considèrent qu’il est préférable de faire des efforts un peu partout pour la nature, tout en permettant aux hommes d’exploiter largement à moindre impact, comme cela se pratique en France jusque dans des Parcs nationaux qui font l’objet d’une exploitation agricole et sont habités, à l’instar des Causses des Cévennes avec leurs élevages de moutons.

Les approches de conservation, nous le voyons, sont très diverses.
Il convient d’examiner les différents niveaux ou se situent les pressions et les enjeux. Et il faut une vision riche et plurielle puisque les enjeux le sont.
Dans mes travaux récents, je distingue un certain nombre d’approches possibles et complémentaires. On peut tout d’abord penser la nature en termes de ressources et de leur renouvellement, un enjeu clé.
Ensuite il y a notre environnement, qui constitue un deuxième enjeu considérable de protection de la nature. S’y ajoute la notion de patrimoine naturel. On ne voit pas de rhinocéros ni le Mont Blanc autour de nous, mais ils font partie de notre patrimoine culturel, ils ont une importance particulière. Il s’agit d’une dimension cruciale que certains auraient tendance à négliger. Ensuite, on peut protéger la nature comme écosystème, c’est-a-dire un système bio-géophysique qui est un subtil ensemble de flux d’échanges de matière et d’énergie. Quand on s’insère dans cet écosystème, on le perturbe, et on doit donc limiter notre nuisance. S’ajoute enfin une cinquième dimension : c’est la nature vue comme la biosphère, impliquant les conditions de vie de l’espèce humaine à l’échelle de la planète. Ce ne sont plus alors des biologistes mais des physiciens qui s’en occupent. Ils pensent en termes de concentration de carbone ou de taux d’acidité, donc de paramètres globaux (et plus d’espèces ou de dynamiques). Ils ne partent pas des mèmes représentations, et ils sont aujourd’hui beaucoup plus écoutés que les biologistes, notamment le GIEC, car leur discours chiffre est beaucoup plus familier pour les politiciens.
Ils proposent des réponses eux aussi, mais qui ont tendance à privilégier l’ingénierie et à négliger les autres enjeux de la protection de la nature.

Il faudrait croiser ces approches, les faire fonctionner ensemble ?
Sans vouloir caricaturer : laissez les écologistes seuls en charge, et ils risquent négliger l’aspect humain.
Mais laissez faire les économistes ou les physiciens, et le résultat ne sera pas plus satisfaisant. Il y a un grand besoin d’interdisciplinarité pour penser tout cela, il faut parvenir à une compréhension mutuelle des approches.
Les médias surestiment parfois des enjeux et des moyens dérisoires, qui ne sont pas à la hauteur.
En écologie, il faut avoir une représentation réaliste des enjeux et des effets des actions possibles. Est-ce qu’on protège : un paysage parce qu’il est “vierge”, un écosystème parce qu’il héberge des processus majeurs, un socio-écosysteme parce qu’il a une valeur patrimoniale ?
En tenant compte de la seule biodiversité ou des seuls écosystèmes ou du réchauffement climatique, on perd l’aspect culturel, on oublie la notion de paysages. Vouloir préserver du sauvage partout, c’est oublier les spécificités culturelles et écologiques de chaque lieu concerne. C’est au politique de réaliser une synthèse éclairée de ces enjeux. Voyons donc comment fonctionnent les systèmes politiques et économiques actuels, pour trouver les leviers sur lesquels peser pour assurer une transition satisfaisante. Repenser la nature et sa conservation, c’est élaborer des stratégies que les populations puissent s’approprier pour participer à la sauvegarde de notre écosystème planétaire.

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Retrouvez l’article complet dans le journal VOX Muséum numéro 6

“La nature, l’histoire d’une idée”

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